2014_Aout
Accueil 
Pourquoi 
Fil_des_mois 
Demande 
Photos 
Liens 
Contact 

Août 2014

 Sulleoni

Fenêtre sur cour... C'est l'été dans les cités.


Le 15 août approche. En Corse c’est une période de l’année que l’on nomme « tempu di sulleoni ». Un temps de torpeur, de canicule. Un temps de paix et de repos, où les villages sont pleins.

Sur le continent, la chaleur est là, elle aussi, mais en apparence les rues se vident.  En apparence seulement, car en réalité un afflux touristique de toute autre nature que celui de l’île de beauté s’installe derrière les façades. Dans les cours. Sur les parkings. « Nos » clandestins sont déjà là.

Ceux sans papiers ne font souvent que passer, profitant de la cohue des vacanciers pour remonter vers des contrées nordiques plus intéressantes en termes de droits accordés aux migrants et réfugiés. Dans les guides de voyage de ces braves gens il faut savoir que la France n’a pas le plus d’étoiles accordées à ses squats ou de fourchettes à ses soupes populaires.

Jean de La Fontaine, déjà, le reconnaissait « La fourmi n’est point prêteuse, c’est là son moindre défaut ». Les pays du nord ont meilleure réputation, mais la France reste une terre de transit plus facile à traverser que la Suisse, et quand ce n’est pas par l’Espagne, ceux qui passent vite en Italie ne tentent guère la traversée des grandes Alpes en solitaire. La traversée des Alpes Maritimes leur plait bien plus.

On les voit donc passer furtivement, l’espace de quelques jours, avant de s’élancer vers les mirages Anglais ou Allemands. Plus rarement Scandinaves, car il y fait décidément trop froid.

En revanche pour nos amis de la Communauté Européenne, la situation est fort différente. Les papiers ils les ont, et souvent les amis, organisés parfois en associations, pour les aider à préparer et à réussir leur séjour. Quand ces braves gens viennent là dans le respect des lois, des us et des coutumes, pour tenter de se faire « une place au soleil » nous ne saurions trop y trouver à redire. C’était prévu et annoncé de longue date : « C’est l’Europe ».

Que l’on soit pour ou contre, au moins c’est légal.

Mais dans le domaine qui est le mien, vous vous doutez bien que ce ne sont pas les honnêtes citoyens travailleurs de pays membres de l’Union Européenne qui posent problème. Ceux-là, ils ont effectivement préparé leur projet, prévu leur logement, et jusqu’au nombre de trous dans la ceinture qu’ils devront se serrer pour réussir à s’insérer et s’intégrer dans une société française où ils voudraient une place pour eux et leurs enfants présents ou à venir.

Ceux qui posent problème, ce sont ceux qui – comme les précédents – sont officiellement venus tenter leur chance, mais pas forcément pour trouver du travail ou une insertion dans la société.

Ils prennent bien entendu tous les habits de leurs frères les plus honnêtes, pour prétendre à tous les droits et à tous les avantages sociaux possibles.

Parfois ils jouent le jeu un moment, mais ils s’en lassent vite car nos règles de vie sont très compliquées…

Le droit de la propriété par exemple leur pose d’énormes problèmes de compréhension. Après avoir usé et abusé de la patience des policiers (qui est limitée, de par leur expérience des crapules)  ils expérimentent celle des juges, qui (bien que plus grande, car éclairée par l’esprit des lois) finit elle aussi par céder, et ils terminent par celle des gardiens de prison, avant de retourner – aux frais du contribuable le plus souvent  – vers leur pays d’origine.

Les plus intelligents tentent de se glisser entre les mailles du filet en évitant les grosses infractions. Ils se contentent de parasiter tous les systèmes sociaux, auxquels ils ne cotisent pas, étant sans ressources déclarées, en prétendant au plus de prestations possibles.

Quand ce n’est pas faisable, la porte du logement social commençant  à se refermer lentement mais lucidement à leur approche, la fraude devient leur recours.

Nous avons donc de plus en plus de braves gens, dotés de papiers Européens, qui tentent la voie du squat. Une voie qui n’est pas (trop) lourdement sanctionnée, surtout quand on est chargé de famille. Car le citoyen, le policier, le magistrat français regardent ces familles comme si elles étaient les leurs. Avec les mêmes traditions, le même amour familial, le même respect des enfants que les leurs.

Or ce postulat est faux. Force est de constater par l’exemple, sur une dizaine d’années de terrain,  que l’amour paternel est extrêmement variable et l’amour maternel largement perfectible, surtout à l’égard des filles, dans nombre de cultures de l’Est Européen.

Il n’y a pas de culture supérieure à une autre. Il n’y a pas de « civilisation » dont nous serions les « gardiens éclairés » face aux « pouilleux » venus du reste du Monde. De quel droit ? Ils ont leurs coutumes et leurs traditions, leur culture aussi, qui pour être parfois purement orale n’est pas inférieure à nos cultures écrites. Là n’est pas le débat, et là n’est pas la question.

En dehors de la maîtrise de ces flux absolument pas souhaités, qui viennent asphyxier nos capacités sociales, l’un des problèmes vient de ce que nous appliquons à ces braves gens des règles qu’ils ne veulent ni comprendre, ni a fortiori appliquer. Ils jouent de notre sensibilité, pour ne pas dire de notre sensiblerie occidentale, tout autant que de nos réglementations.

Cas concret très récent vécu avec la construction d’une « cabane » de bric et de broc, sur un terrain privé quoique « social » par un couple de ressortissants d’un pays de l’Est de la Communauté Européenne.

Un magnifique pays dont le « Conducator » ordonna en 1966 par un « décret 770 » devenu célèbre de se lancer délibérément dans une politique à outrance dont les effets ne se verront réellement qu’à partir de… 1989, avec une natalité débordante, le terme est faible. Et je ne le nommerai  pas. Vous pouvez chercher, vous trouverez certainement très vite.

Ces braves gens, avec leurs quatre enfants en bas âge, ont bien évidemment expérimenté immédiatement la voie royale de l’habitat à titre gratuit aux frais des contribuables et locataires français : le squat de plus de 48 heures, qui oblige le propriétaire ou le bailleur social à intenter une procédure, et qui permet de passer l’hiver au chaud en piratant l’électricité et l’eau potable des autres. Pas de chance, l’été n’est pas encore tout-à-fait la bonne saison pour ce genre de sport.

Ils se sont donc retrouvés rapidement à la rue. Dotés de talents approximatifs en architecture moderne (encore que tout se discute dans ce domaine) et d’une grande tente dépliable importée du fin fond de la Chine par un célèbre magasin de sport français, ils se sont lancés dans la création urbaine accélérée. En quelques jours, quelques palettes de chantier et quelques portes de placard technique, une « habitation » a vu le jour dans une arrière-cour d’immeuble. Une cabane plus qu’inflammable, insalubre, et exempte d’étanchéité, bref, un début de bidonville de toute beauté.

A partir de là, et avec « la présence des enfants », commence le tissage de toute une chaine visant à leur permettre de « rester », sans droit, sans titre, en toute illégalité.

"La présence des enfants" va permettre de récupérer du voisinage de vieux jouets, mais aussi de la nourriture de l’électricité et même des éléments d’électro-ménager. Elle va rendre chaque jour le départ plus dur. L’expulsion plus difficile.

« Vous comprenez, il y a des enfants ».

Je comprends le droit de toute personne à compatir avec la situation de son voisin. Je comprends la charité… Je comprends aussi la manipulation.

Ces enfants, que nous voyons comme NOS enfants avec NOS normes sociales, NOS critères d’éducation et de comportement, ils sont innocents. Ce n’est pas eux qui sont blâmables du rôle qu’on leur fait jouer.  Un rôle vu et entendu tant de fois qu’on le connaît par cœur sur le terrain.

Sur le terrain. Dans les bureaux et dans les prétoires, il en va différemment. Dès qu’il y a « des enfants » ce ne sont plus des gants que l’on prend, ce sont des moufles, et pour bouger les doigts en août avec des moufles, ce n’est pas facile. Car les parents, eux, ils ne sont pas innocents. Ils vont délibérément laisser les enfants à l’intérieur de la cabane en invoquant l’accident « inévitable ». Pendant plus d’une heure, ils vont jouer sur le risque (minime) de l’écorchure par un clou ou une planche en cours de démolition, en espérant nous faire reculer.

D’une opération simple de sortie et démolition de la cabane, qui est réalisable en un quart d’heure, le temps en est multiplié par huit. Il faudra deux heures, dont 15 minutes pour faire place nette et une heure 45 pour convaincre, tant les occupants que les diverses autorités,  de l’action à mener.

Cet exemple est réel et vécu.

Je ne donne ni noms ni lieux pour respecter les obligations de discrétion qui sont les miennes, mais je pourrai en produire les photos. Les lieux étaient accessibles et rien n’interdit de photographier des planches jusqu'à nouvel ordre.

L’affaire n’est pas close puisqu’après avoir tenté – sans succès – d’ameuter le quartier contre les agents et policiers, ce sont des journalistes – avec apparemment autant de succès - qu’on est allé chercher.

Nous avons mené cette action dans le respect des lois de la république, avec toute la mesure et la dignité qui sont requises, mais attention, « il y a des enfants ».

A qui la faute au cas (improbable) ou un accident serait arrivé ? Aux agents ayant prévenu dans les formes de ce qu’ils faisaient, ou aux parents qui utilisent leurs enfants comme des armes pour menacer de représailles financières et judiciaires à la moindre écorchure ?

La question est posée ici, dans une certaine sérénité. Les talents de négociateurs des participants ayant su convaincre les parents de cesser ce jeu dangereux à temps. Mais ils l’ont tenté. D’autres le feront. Demain, si ça dérape, il faut savoir sur qui on peut compter. Si c’est sur personne, plus personne ne bougera. Qu’on se le dise.

Nous avons la chance, là où je suis, d’avoir des hommes et des femmes de bonne volonté, et quelques vrais décideurs capables d’apprécier une situation. Ce n’est pas le cas partout. Je pense aussi aux autres, et même (et surtout) aux forces de l'ordre.

En ce milieu du mois d’août 2014 si paisible, on sent la vague venir.

Logement social nécessaire à Nice (par exemple) 10.000. Le double de notre parc actuel.

Logements attribués, une centaine (parfois plus) de logements par mois. C’est déjà beau.

Par an, on passerait - non sans peine - en construisant, de 1200 à 1500 logements attribués.

Pour répondre aux besoins des gens qui ont constitué un dossier de demande, il faudrait donc - sur le papier - au moins six à sept ans pour loger les seuls demandeurs actuels.

En pratique, la plupart des cas on arrive à les satisfaire dans les trois à cinq ans maximum. C’est déjà trop long.

Ce n’est pas une critique interne. Tous les agents, et jusqu’au sommet de la hiérarchie trouvent que c’est trop long, mais nous savons que nous ne pouvons pas faire moins long. Et nous savons aussi que ce n’est pas la faute des agents.

Pourquoi ? Entre autres, parce qu’une partie du parc – même si c’est minime – est parasitée par les squats et les conséquences que l’on nomme pudiquement « baisse d’attractivité locative » alentours.

Nous proposons, mais le « client » n’en veut pas: "Pas ce quartier, pas cette rue, pas là". "Trop de squat". Même si en réalité il n’y a qu’un squat; Même si en réalité ce squat, c’est du passé.

Alors là au milieu de l’été, je repense à tous ces penseurs fabuleux du printemps qui pour un fauteuil de Maire étaient prêts à promettre mille nouveaux logements par an. Ces braves gens qui ricanent quand nos dirigeants placent la barre à 150 en expliquant pourquoi et comment. Ces braves gens qui bien entendu sont prêts à nous clouer au pilori pour le moindre faux pas surtout si « il y a des enfants ».

On aimerait bien comprendre sur quels terrains ils feraient pousser 10.000 logements, ou avec quel argent, alors que nous nous battons au quotidien pour avoir du budget afin de réparer, entretenir, faire tourner, récupérer l’existant.

Cent cinquante logements de plus par an, au moins c’est crédible. Ce sera dur, mais c’est crédible. Mille… Par l’œuvre du Saint-Esprit, peut-être ? Je veux bien y croire.

Avec des agents retraités en moins, avec le matériel qui s’use au quotidien, avec des hommes qui parfois disparaissent brutalement, emportés par le destin, sans remplacement; sans recrutement possible… Ce sera bien difficile.

Alors au cœur de cet été, tout ce que l’on pourra construire qu’on le construise. Tout ce qu’on pourra assainir, qu’on l’assainisse. Tout ce qu’on pourra récupérer, qu’on le récupère, et qu’on veuille bien ne pas nous parler de l’innocence des enfants quand les parents sont responsables.

Le 15 août approche. En Corse c’est une période de l’année que l’on nomme « tempu di sulleoni ». Un temps de torpeur, de canicule. Un temps de paix et de repos, où les villages sont pleins…

Merci d’avoir lu ce billet si long écrit cette nuit, et passez – si vous en avez – de bonnes vacances.

A suivre...  A la rentrée...

[Accueil][Pourquoi][Fil_des_mois][Demande][Photos][Liens][Contact]

Copyright (c) 2005 - 2014 Didier Codani. Tous droits réservés.